La règle du jeu : Le pillage – Volons entre 3 ou 5 éléments ailleurs et recyclons-les dans une scène (production hybride bienvenue). J’indiquerai après le texte les éléments volés.
Ils devaient mettre le feu au laboratoire. La mission était claire : une fois à l’intérieur, tout arroser d’essence, allumette, sortir au plus vite, et boum. Alonzo se retourna : Yuri, comme toujours, traînait son regard vague sur tout, y compris sur les microscopes et les éprouvettes. Alonzo attrapa son acolyte en grommelant à voix basse des insultes en italien. Il en avait plus qu’assez, de ce boulet. Heureusement, c’était bientôt fini.
Mais Yuri s’arrêta net devant une énorme sphère bleue, encastrée derrière une lourde vitre de plexiglas sécurisée, contenant des milliers d’organismes fluorescents roses qui s’agitaient doucement. Il dit lentement :
– C’est un signe.
Alonzo était rouge de rage.
– Putain, Yuri ! Qu’est-ce que tu baragouines encore, stupido ?
– C’est un signe. La solution est là, c’est évident. Ça ne peut être que ça, que pour ça. On nous demande de la détruire. Ses yeux bleus s’obscurcissaient alors qu’il prononçait ces mots.
– Mais non, tu ne réfléchis pas. Ce que tu dis n’a aucun sens. Et d’ailleurs, on n’est même pas là pour réfléchir. On fait le job, on se barre, basta. Tu veux vraiment chercher un sens à tout ça ?
– Ce que je vois, personne ne le voit. On pourrait tout sauver. On pourrait tout réparer. C’est aussi simple que ça.
– Bravo, bravo, monsieur le sauveur de l’humanité. Andiamo, je vais jouer à ton petit jeu débile des enfants qui s’inventent des histoires. Poussons ton raisonnement jusqu’au bout. Alors, on la prend comment, ta grosse solution miracle ? Ensuite, on fait quoi avec? On la distribue avec des pipettes ? Et comment ? C’est toi qui va choisir à qui on donne et à qui on donne pas ? questo è tutto, même dans ton délire, tu ne tiens pas la route. Allez, au boulot.
Yuri ne bougea pas. Ses yeux s’agitaient de gauche à droite, semblant lire un code invisible dans l’air.
– Non. On ne peut pas la détruire. Il y a forcément autre chose à faire.
– Et maintenant, tu vas faire quoi ? Tu vas parler ? Tu vas te taire ? Tu crois que quelqu’un quelque part en aura quelque chose à foutre de ta boule bleue et rose, là ? Tout le monde meurt, merda ! Il ne reste plus que nous, parce qu’on est fottutamente anormaux. C’est notre chance et notre fardeau.
– Je sais qu’être décalé est une force. Cela les sauvera peut-être.
– Une force ? Une force ! Voir mourir un à un ceux qu’on aime, sans rien pouvoir faire, c’est une force ? Ma sei molto malato, mio povero! Savoir qu’ils ont tous, oui, tous, des milliards de gens, cette bombe à retardement en eux, qui grandit, et puis qui implose un jour, senza preavviso, boum, et rester là, à regarder, sans rien faire, en sachant qu’il ne nous arrivera jamais rien, à nous ? Une force, tu dis ? Alonzo, de colère, décocha un coup de poing dans un mur. De toute manière, il ne pouvait rien sentir, alors, qu’importe?
Yuri le regarda. Il regarda à nouveau cette solution, si bleue, si bancale, si vaine.
Puis, il se résigna.
Sources du pillage
capture d’écran de série géniale Dirk Gently
capture d’écran du très beau film At eternity’s gate de Julian Schnabel
Kateb Yacine, Le Polygone étoilé, « Dans la gueule du loup »:
“ Et maintenant vas-tu parler ? Et maintenant vas-tu te taire ?”
Ito Naga, Je sais :
« Je sais qu’être décalé est une force. »