agrégation

La fin d’un monde – Jeu n°4

La règle du jeu : photo/texte. Les participants déposent une photo, réalisée  ou choisie par eux. Ils choisissent ensuite celle à partir de laquelle ils écrivent un texte de forme libre. 

J’ai choisi la photo suivante, faite par W.

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        L’album photo reposait sur la table basse. Arthur et Joseph regardaient leur grand-père en trépignant d’impatience. C’était l’heure de l’histoire, celle d’avant. Qu’est-ce que c’était curieux, ces récits de leur papou si grave et triste ! 

        Le vieil homme saisit l’objet, le feuilleta, indécis, laissant ses doigts caresser avec une tendresse un peu honteuse ces souvenirs, dont certains s’effaçaient déjà. Il saisit une photo aux couleurs sombres et jaunies, lut l’inscription écrite au verso, ce qui le fit sourire. Il la présenta aux deux enfants. 

– Regardez cette image. On dirait qu’elle ne raconte rien, n’est-ce pas ? Et pourtant, elle contient tout un monde. Elle raconte un virage, une révolution. Vous savez, bien sûr, que notre  époque changea en 2020. C’est loin, pour vous. C’est une vieillerie, une date un peu légendaire, dont vous avez entendu parler mais qui n’existe pas dans votre chair. Cette image, elle montre notre innocence juste avant qu’elle soit perdue. J’étais déjà avec poupou Angelo, on s’aimait fort, fort comme notre jeunesse, on vibrait de sérieux autant que d’enfantinerie.

– C’est quand vous vous êtes rencontrés, cette photo, Papou ? demanda Arthur, qui voulait toujours accélérer les récits volubiles du grand-père. 

– Non, c’est bien après. En réalité, cette photo est anodine. C’était un soir comme un autre. Poupou avait fait venir une amie photographe, Cosette Hardouin. C’était une artiste qui commençait à être connue, et elle travaillait alors sur une série de photos qu’elle appelait Portraits d’intérieur. C’était une idée un peu loufoque, qui consistait à figer une ambiance, des objets, une lumière, comme s’ils étaient la carte d’identité d’un lieu, d’une époque, et d’une personne. On l’a un peu taquiné en disant que c’était du grand n’importe quoi et que ça ne marchait pas, parce qu’une image est toujours réinterprétée par celui qui la regarde. Elle a fait la sourde oreille, a chamboulé tout l’appartement pour avoir assez de recul pour photographier ce petit bout de table et cette lampe. Puis, elle s’est retournée, satisfaite, et elle nous a dit : “Voilà. Ça, que vous le vouliez ou non, c’est vous, et c’est maintenant”.

Joseph fronça les sourcils, examina la photo de plus près, avant de dire : 

– Mais c’est nul. On voit rien de spécial…

Le vieillard esquissa un sourire amer. 

– Tu vas trop vite, Joseph. Je n’ai pas fini mon histoire. Comme je l’ai dit, c’est une photo anodine. Mais ce que vous ne savez pas, c’est qu’elle a été prise le dernier jour. C’était notre dernière soirée ensemble. Après ça, tout a changé. Une semaine après, Cosette était morte d’asphyxie.

Des larmes embuèrent le regard du vieil homme, alors qu’un silence lui barrait la gorge. Il reprit enfin, un peu plus gravement encore : 

– C’est cette nuit-là que l’air a été rendu toxique, c’est le lendemain que des millions d’individus sont morts en sortant simplement dans les rues, c’est le jour d’après que les scientifiques ont compris qu’on ne pourrait plus jamais sortir prendre l’air, et qu’on ne pourrait plus ouvrir les fenêtres pour respirer un grand coup. Pour vous peut-être, cette photo n’est rien, mais elle a été, sans le savoir, la porte entre deux mondes. 

Les yeux des deux enfants s’ouvrirent en grand. Ils peinaient à imaginer cet avant qui ne leur disait rien, car leur présent était la seule chose qu’ils connaissaient, et ce passé ne provoquait en eux aucun émoi, si ce n’est un divertissement exotique. Mais les fantômes et la nostalgie qui déformaient les traits de papou serraient leur gorge et leur cœur, et c’est ainsi qu’ils apprirent ce qu’était la fin d’un monde.

 

Nota Bene : W. est un ami cher, amoureux d’un autre ami cher, F-P. Nous avons préparé tous les trois ensemble l’agrégation, et je les ai pris en photo dans leur amour naissant. De nombreux clins d’oeil à notre amitié, à notre préparation au concours, et à ce temps révolu de compagnonnage se sont glissés au cours de l’écriture, dont le titre de ce texte et sa chute, qui était l’intitulé de l’un des parcours de littérature comparée que nous avions au programme ; mais aussi celui qui est tombé à l’écrit. En quelque sorte, en plus d’être un texte produit sous contraintes, j’ai voulu en faire un gage d’amitié, contaminé bien sûr par l’époque trouble et inquiétante de ce que vit notre monde aujourd’hui. 

Agreg 2016 : Climax

Cette année, j’ai fait le choix de ne pas écrire sur l’agrégation parce que :

1- J’ai fait des articles l’année dernière

2- J’ai refait une année et je n’en n’ai pas été très fière (un peu comme lorsqu’on finit un pot de Nutella dans son appart et qu’on ne nuit à personne mais qu’on a fait ça de manière compulsive et qu’on ne peut pas s’empêcher, bizarrement, d’avoir une culpabilité enfantine)

3- Ecrire sur l’agrég au lieu de préparer l’agrég, c’est vraiment trop 2014 quoi.

Mais comme l’agrég, tu l’aimes ou tu la quittes, et que je vais bientôt en finir, voici un résumé en accéléré de cette année, intitulée Climax. Le dictionnaire m’indique qu’un climax est « le terme d’une progression, ascendante ou descendante » ou  » point culminant« . On est content. Ce terme résume bien la trajectoire de mon année, et celle, en symétrie parfaite, de mon mal de dos. 

Donc, oui, j’ai refait une année. J’ai retrouvé mes deux copains (Z. et C., merci à eux d’avoir été là cette année), on s’est mis au premier rang, on a changé de côté parce que le côté droit ça nous rappelait trop l’année d’avant, et on a fait un trio comique à notre manière, parce que notre ami Figaro, cette année, nous a rappelé l’importance de s’ « empresser de rire de tout, de peur d’être obligé(s) d’en pleurer ». Et on est là, en cours, on fait un peu les marioles parce qu’entre redoublants, la seule manière d’arriver à accepter d’être encore là, c’est de se rendre compte de tout ce qu’on a appris, quand même.(Voir l’article de Vice Magazine qui souligne à quel point le concours de l’agrégation est destructeur, un peu). Alors on fait des blagues sur la négation bitensive et puis on se sent toujours aussi mal dans nos baskets, alors on se met au boulot et – sans blagues – on travaille comme jamais. Finie la rigolade, finies les dispersions grammaticales dans Le Goffic et La GMF, finies les vingtaine d’heures passées à réfléchir stylo en main sur un sujet de leçon sans rien finaliser.  On apprend à synthétiser, faire les concours blancs dans les temps, comme il faut, on va courir pour que le corps ne meure pas à petits feux. Discipline, rigueur, plan en trois parties trois sous-parties avec une accroche, des transitions et une belle ouverture sexychocolat.

L’avantage de la discipline, c’est que le travail avance de manière constante. On pense à tout ce qu’il nous reste à faire et on évite de trop compter les jours, même si on le fait quand même. A ce propos, je tiens à souligner la terrifiante habitude prise cette année : tenir un journal de travail, avec date, nombre de jours restants avant les écrits, nombre d’heures passées sur tel ou tel exercice/ouvrage. Oui, oui, l’agrégation m’a rendue maniaque et psychorigide. Et puis les écrits arrivent. La semaine se passe, et bien sûr, je compare avec l’année dernière : bizarrement, ça semble plus dur, tout est mitigé, le sujet de dissertation c’est Ronsard et ça me fait chier de parler d’amour, on tombe sur Zola en grammaire et tout le monde est dégoûté, d’autant plus que le jury s’est amusé cette année à nous faire une jolie question de synthèse en lexicologie sur le figement lexical. La version de latin nous achève et on sort de là complètement « incertain », pour citer notre Blaise Pascal national. Dans la foulée, parce qu’un concours n’est jamais suffisant, avec les copains on passe le CAPES qu’on a pas vraiment préparé, il y a une énorme montée pour aller au lycée où se déroulent les écrits, on y voit du symbolique et on se sent un peu con de tout intellectualiser comme ça. On se marre un peu jaune parce qu’on a fait comme on pouvait nos épreuves, et qu’en bons candidats à un concours, on sait bien qu’on aurait vraiment pu mieux faire si on avait préparé ça comme il faut.

S’ensuit le doute de l’attente des résultats. Sachez-le, rien n’est plus détestable que l’attente du résultat d’un concours, qui plus est quand on le passe pour la seconde fois, et qu’on a mis le coeur, les tripes, le dos dans la bataille. Et les résultats arrivent. Joie d’être admissible, dégoût de perdre mes compagnons qui ont travaillé aussi vaillamment, aussi durement. Puis, ascenseur émotionnel quasi quotidien de la préparation des oraux :

joie – épuisement – combattivité – lassitude – hargne – mal de dos – espoir.

Lente et systématique préparation quotidienne, pratique des exercices oraux que je n’avais pas faits l’an dernier, résolution quotidienne d’être  préparée, cette fois. La discipline, encore et toujours, comptabilité du temps de travail, craquages occasionnels soignés à coups d’amitié, de soutien familial, câlins amoureux, cuisine et sport.

Et nous voilà en juin. J’ai passé mes deux premiers oraux et j’ai toujours mal au dos. Pour reprendre l’expression paternelle, « je suis tendue comme un string ». Ou, pour faire plus chic, on peut résolument appliquer le titre du chef d’oeuvre d’Almodovar à ma situation actuelle : Femmes au bord de la crise de nerfs. Quels que soient les résultats, cette année, je serai allée jusqu’au bout. Et, dans ces derniers instants paroxysmiques (on se fait plaisir avec le vocabulaire ce soir), les mots de Beckett dans Fin de Partie résonnent résolument :

«  ça va finir, ça va peut-être finir. Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas. »

Pour ceux qui auraient la flemme de tout lire, un résumé en images de cette année-climax

Septembre 2015 : la rentrée 

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Mars 2016 : les écrits 

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Juin 2016 : les oraux 

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Oral Agreg, J-5 : Les mondes parallèles

J’ai eu la joie et la surprise d’être admissible. Par chance, (parce qu’il y a toujours un facteur chance extrêmement important dans une telle situation) je suis tombée sur deux sujets de dissertation pour lesquels j’ai pris du plaisir à composer, et bien que je ne sache pas actuellement mes notes de l’écrit, il est probable que ce soit ce plaisir-là qui m’ait permis d’atteindre la barre d’admissibilité.

Une fois les écrits passés, évidemment, la boursière que je suis était exsangue financièrement (et mentalement, ne nous le cachons pas), il était urgent que je trouve un travail, et je ne désirai qu’une chose : enseigner. En effet, j’avais un besoin urgent de confronter mes nouveaux et colossaux apprentissages de l’année avec la réalité de l’enseignement telle que je l’ai connue durant mon remplacement en lycée, en 2012-2013. J’avais surtout besoin de reprendre contact avec la réalité du terrain, parce que l’enseignement, du peu d’expérience que j’en avais eu, était à des années-lumières de ce que l’on peut étudier en préparation agrégation. J’ai donc fait le choix, à la fois économique et psychologique, d’appeler le rectorat le jour de ma dernière épreuve, le 20 Mars : la personne du rectorat m’accueille chaleureusement au téléphone,on pourrait presque distinguer un vague hallelujah en arrière-fond : Avec la pénurie actuelle des contractuels en lettres à 3 mois du Bac et du Brevet, bien sûr que vous allez avoir du travail, Mademoiselle ! 

Deux jours plus tard, je prends connaissance du chef d’établissement d’un collège REP + (c’est à dire Réseau d’Education Prioritaire renforcée), qui m’affirme sans sourciller que je vais vivre une vraie révolution copernicienne. Le lendemain, je fais la connaissance de mes nouvelles classes, et me voici lancée pour deux mois de découverte pédagogique : après avoir flirté toute l’année avec la perversité grammaticale de l’adverbe, la valence verbale ou la négation bitensive et les problèmes de la grâce dans Corneille, j’enseigne les règles de l’accord du participe passé avec « être » et « avoir », je rappelle la manière d’identifier un sujet dans une phrase, ou je fais découvrir du vocabulaire à mes élèves tel que « écluse », « rancune », « amer », « mélancolie », « anxiété ». Ces deux mois ne se passent évidemment pas sans heurts, le collège dans lequel je suis remplaçante est un collège avec des élèves dits « difficiles » parce qu’ils se mettent difficilement au travail, n’ont pas leur matériel, peuvent se montrer violents oralement et physiquement, ont souvent une concentration très volatile, et un intérêt presque inexistant. Mais je prends beaucoup de plaisir à retrouver le quotidien de l’enseignant, la machinerie qui cherche la manière juste pour arriver à faire passer le plus de choses possibles, le plaisir extrême de voir ses élèves comprendre et réussir à appliquer un nouvel apprentissage. J’oublie l’agrégation, j’oublie les écrits, j’envisage alors une année prochaine en tant que contractuelle en attendant de passer le CAPES, sauf…

Sauf si je suis admissible. Et deux mois après la fin des écrits, le résultat est là, et je le considère, en larmes, incrédule. D’abord, évidemment, je regarde avec qui je partage encore l’aventure : mes camarades de classe étant pour certains devenus des amis très proches, leur non-admissibilité m’attriste beaucoup, car nous avons tous navigué dans la même galère, et ce moment de résultats qui sépare les individus est humainement et moralement désastreux. Puis, l’autre réalité éclate : il faut préparer les oraux.

Deux mois sans avoir le nez dans les oeuvres, sans pratiquer les exercices, sans avoir pu suivre les cours de préparation aux oraux : comment réussir à préparer efficacement ces  quatre terribles épreuves parisiennes ? Et pire encore, la vie au collège ne s’arrête pas : les brevets blancs sont à corriger d’urgence, les conseils de classe ont lieu en même temps que les oraux, et les cours continuent…Les casquettes se superposent, ma boîte mail sature d’informations collégiennes et  agrégatives, et je dois tricoter un espace de révision au milieu de ces impératifs multiples.

Il s’agit donc de passer un mois de juin à danser d’un pied sur l’autre, tout en tentant de relativiser les enjeux respectifs de chacune de ces postures, sous peine d’épuisement physique, moral et intellectuel.

Prépa Agreg, J-30 : Sinuosités de l’effort

Lettre de Flaubert vieillissant au jeune Maupassant :

 « Trop de putains ! trop de canotage ! trop d’exercice ! Oui, Monsieur ! Il faut, entendez-vous, jeune homme, il faut travailler plus que ça. Tout le reste est vain, à commencer par vos plaisirs et votre santé ; foutez-vous cela dans la boule. D’ailleurs votre santé se trouvera bien de suivre votre vocation. Cette remarque est d’une philosophie, ou plutôt d’une hygiène profondeCe qui vous manque, ce sont les principes. On a beau dire, il en faut ; reste à savoir lesquels. Pour un artiste, il n’y en a qu’un : tout sacrifier à l’Art. La vie doit être considérée par lui comme un moyen, rien de plus, et la première personne dont il doit se foutre, c’est de lui-même. »

***

Qu’il s’agisse d’art, de sport, de musique, ou de travail, l’effort, et surtout, l’effort continu, constant, répété, est un caillou qui blesse dans la chaussure de n’importe quel marcheur. Pire, l’effort est une bête sauvage, avec laquelle nous avons tous des prises aléatoires : on passe successivement de l’indifférence, de la nonchalance, à un sursaut panique dans lequel nous nous jetons dans l’urgence du désespoir, comme un régime drastique tenu pendant trois jours, à la limite de la famine, avant de craquer et d’avaler tout ce qui se présente avec un triple appétit.

Il y a donc, depuis un mois et demi, dans l’agrégative que je suis, un dur combat : comment faire un effort, qui soit utile pour le concours mais qui puisse être supportable quotidiennement ? Comment réussir à rendre l’effort régulier ? A un mois des écrits, c’était une urgence qui s’imposait, celle de trouver la tranquillité d’un effort constant, rassurant, pour réussir à chasser les insomnies angoissées des trois dernières semaines.

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Screenshot de New Girl

J’y suis, enfin : mon effort n’est pas colossal, mais j’ai trouvé les ingrédients d’un travail quotidien,

En voici la recette, qui m’est propre, mais pourra peut-être vous aider à trouver la vôtre.

Je ne vais plus en cours, je travaille chez moi, avec de la musique (guitare, piano, musique instrumentale essentiellement). Je commence la journée par les matières les plus techniques (latin, grammaire, ancien français), en me fixant un objectif horaire, en général, une heure par matière. L’après-midi, je travaille plus en profondeur, sur une oeuvre de littérature ou sur un thème de comparée : je relis l’oeuvre et les cours, je fais une fiche synthétique/synoptique dessus, je tente de faire le tour des axes de réflexions thématiques et poétiques, et enfin je choisis des citations qui me plaisent et qui peuvent être utilisées pour plusieurs axes dégagés auparavant. Et je termine ma journée par 30 pages de lecture (jusqu’ici c’était Proust, je n’avais pas réussi à m’y mettre correctement), stabilos et stylo en main, j’annote le livre en tentant de résumer l’idée-clé d’une page en peu de mots. Je m’accorde deux vraies pauses dans la journée, où je fais autre chose (photo, sport, café avec des amis, rangement, cuisine).

Voilà, depuis que je fonctionne ainsi, je n’ai plus d’angoisses ni d’insomnies, je réussis à travailler. L’angoisse lors d’un concours est, je crois, liée à l’imagination du candidat : il voit tout ce qu’il ne sait pas, tout ce qu’il lui reste à faire, il est découragé devant l’ampleur de la tâche. La priorité, dans ce cas-là, est de faire le point sur le savoir acquis, d’où la nécessité de faire des fiches synthétiques, elles permettent de se rassurer. Pour les matières plus difficiles, comme l’ancien français, il est important d’en faire tous les jours, même 30mn, cela dédramatise le rapport avec celle-ci.

Et vous, quelle est votre recette pour cultiver votre effort ?

Prepa Agreg, J-87 : Perles de Noël ***

Vendredi 19 Décembre 2014

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la divine Zooey Deschanel dans New Girl

A l’aube de la dernière dissertation de l’année, portant sur le merveilleux, le sublime, le généreux Corneille (et sa troupe de joyeux personnages exceptionnels), la folie emportant peu à peu mes révisions, voici les perles 2014 de mes profs (après les perles de mes élèves, sur mon autre blog, la roue tourne…).
Il faut avouer que nous avons la chance d’avoir des personnages, dont les propos divins sont d’autant plus appréciés que la folie verbale perce allusivement entre deux idées brillantes.
#mercipourcemoment

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Les perles de Monsieur T., où Baudelaire éclairé

– Baudelaire est une sorte de Rousseau hystérique, ou un Rousseau à l’envers – depuis quelques temps, la domination masculine vascille. – mademoiselle bistouri, qui est mon idole personnelle… – je sais pas si ça vous excite, la soupe et les nuages, le chien et le flacon, je sais pas si ce poème vous emmène tutoyer les astres, mais moi pas. – Ecoute flottante. Il flotte un peu. Parce qu’il n’écoute pas exactement ce que vous dites. Ça, c’est simplement du Freud. « il y a une fonction du sacrifice, il n’y a pas à tortiller là-dessus, bon ! » « condamnation à mort, c’est notre propre à tous, paraît -il…. » « ça c’est un peu mou comme conscience philosophique » finalement, madame Bovary, faut pas la prendre de haut, hein. Mais la scène était trop étroite pour ses facultés. C’est mal fait, quoi, la vie. « non mais ça fatigue, Victor Hugo, vous trouvez pas ? » « à qui ce petit chat veut-il couper la tête ? » « on ne peut pas se fier à l’honnêteté des gens, parce que nous sommes tous baudelairiens et nous savons que le péché originel existe » Que faire lorsque vous avez madame Sabbatier sur les bras ? Une femme un peu leste, qui était généreuse de ces charmes, qu’elle avait généreux d’ailleurs « un poète sans auréole, c’est quoi ? c’est un petit poète finalement ! » *Et pour finir, les merveilleuses parenthèses qui ponctuent le cours, telles des vapeurs opiacées : « c’est la même chose donc j’ai le droit de faire cette parenthèse » – « voilà le cours est fini, que voulez-vous que je dise d’autre ? Il n’y a rien d’autre à dire ! » – « qu’est-ce que ça veut dire ? (nous regarde) Mais je ne sais pas ce que ça veut dire !! (regard fou) » – « d’ailleurs je suis dedans, mais peu importe, quoi que cela importe, tout le monde est là » – « c’est plutôt mauve que violet » – Allez savoir si je ne dis pas tout le temps la même chose… Bon j’ouvre… non ! – « je ne sais pas, enfin si, je sais…. » – « il écrit des choses, baudelaire, c’est à tomber par terre » / « je suis en train de m’énerver, là ! » – « je reprends calmement quelque chose de normal ». 1312696-Marivaux_la_Vie_de_Marianne La merveilleuse Madame G., ou Marianne disséquée « comme si on était déjà ses potes, alors qu’on l’est pas » « il y a des fétichistes des pieds, bon là c’est les cheveux, c’est l’autre extrémité si vous voulez… » « il est besoin de garder la poubelle, là ? » « voilà un très beau passé antérieur » « vous, je ne sais pas ce que vous aller pouvoir entraver à mon article » « et puis après y a des trucs qui servent à rien, comme l’orthographe, bon… » « évidemment, on ne peut pas parler pour ne rien dire ! » « Donc vous êtes morts, vous ne pouvez pas les traiter » « ça, ça sert pas à grand-chose, c’est un peu pour faire genre véritable agrégatif ». « très grand idéologue, un grand philosophe,  mais bon, Rousseau quoi ! » « vous vous rendez compte comme c’est des malotrus ces gens-là ! […] on marche sur la tête ! » « en tant que stylicisticienne, je suis contente ça va dans le bon sens ». « ce n’est pas pour m’amuser que je vous fais faire du guillaumisme ! » « certains grammairiens cherchent des poils sur les œufs » martyr_by_merkchen-d39lst3

source : Merkchen, Deviantart)

Monsieur T, ou Corneille le généreux « ne vous inquiètez pas je vais atterrir » « quand vous virez dans la stylistique je ne suis pas content » « c’est de la rêverie grammaticale » « comme est un mot très bizarre » // « l’adverbe, ce pervers polymorphe ». « ça me fait pas changer d’avis mais ça m’oblige à argumenter un peu plus » « c’est une obsession personnelle » « Nathalie F., qui était toute frétillante… » « Ça renvoie ici aux feux de l’amour » « Mais comme souvent les méchants parlent bien ! » « On peut faire des choses assez drôles avec un mari égorgé par sa femme dans son lit » « En attendant godot c’est une tragédie avec des clochards, et des clochards qui ont mal aux pieds » Et pour finir, quelques pépites de Madame F., cours brillant que j’ai hélas déserté trop vite… « mais en grammaire les choses les plus absurdes passent toutes seules, il n’y a pas de problème ! « c’est pas planplan ! » « au bout d’un moment on sait plus trop, il faut le reconnaître » « Emilie, ce n’est pas une faible femme momolle ».

Allez, Joyeux Noël à tous les agrégatifs ! 

Prépa Agreg, J-90 : Le télescope, la lorgnette et la loupe

Mardi 16 Décembre 2014

Jusqu’à présent, j’avais choisi de comptabiliser les jours depuis le début du « travail » agrégatif. Une prise de conscience douloureuse, il y a quelques jours, m’a fait prendre conscience qu’il s’agit désormais d’un compte à rebours, la barre des 100 jours nous éloignant des écrits ayant été franchie… 

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« Regarde de tout tes yeux, regarde » (Michel Strogoff, Jules Verne)

Ayant réussi à mettre de côté la terrible angoisse qui point face au compte-à-rebours enclenché, voici toutefois une petite réflexion autour du jeu du point de vue dans notre concours. J’avais évoqué, dans un article précédent, le choc profond qu’a entraîné les explorations grammaticales récentes. Depuis, je me suis rendue compte à quel point nous sommes malmenés, éprouvés – pour la bonne cause, évidemment, tout ceci est une expérience pédagogico-didactique passionnante, n’en doutons pas – dans un écartèlement optique. Je m’explique. Imaginons que l’exercice de l’étude littéraire puisse être assimilé à un instrument d’optique… L’étude du mot (lexicologie) s’apparenterait au microscope, la plus petite unité de sens du texte (on pourrait pousser le vice jusqu’au morphème, mais là, désolée, vous me perdez les gars), l’étude de la grammaire (et donc de la phrase, de la syntaxe et tousssa) serait alors équivalente à la loupe. L’explication de texte, toujours dans cette démarche retro-scopique, serait analogue aux lunettes, celle d’une dissertation sur une oeuvre intégrale serait une belle petite lorgnette, et enfin, le grand écart optique consistant à loucher en même temps sur des oeuvres plus ou moins éloignées dans le temps, à savoir notre admirable exercice de littérature comparée, s’apparenterait alors au beau télescope (le pote au Guépard, n’est-ce pas les gars ?) qui nous permet d’embrasser dans notre champ de vision deux étoiles si éloignées dans l’espace et le temps.

Bref. Cette métaphore filée un peu tordue me permet de dire qu’en ce moment, j’ai la vue trouble.

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Prépa Agreg, J81 : Violences grammaticales

Lundi 24 Novembre 2014

Les premiers entraînements aux écrits ont commencé le 8 Novembre, nous avons eu la joie de composer sur notre premier sujet de dissertation de littérature, sur notre oeuvre de médiévale, le Roman d’Eneas. L’occasion, pour de nombreux agrégatifs, de renouer avec la situation terrible de l’hypokhâgneux ou du khâgneux, confronté à un temps démesurément long – comment qualifier autrement une épreuve qui dure SEPT heures ? – et un cerveau démesurément lent. Mais au moins, l’épreuve de la dissertation littéraire est, pour beaucoup, une vieille expérience familière, similaire à la visite chez le dentiste : ce n’est pas agréable, mais au moins, on sait à quoi s’attendre, on ferme les yeux, et à la fin, on crache dans le petit robinet, « et voilà tout » (Marianne s’infuse dans mes mots, la vicieuse).

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 Capture d’écran d’un passage de la série How not to live your life 

Mais il y a pire : Vendredi, j’ai perdu mon pucelage grammatical. Oui, oui, le mot est fort, mais l’épreuve était un véritable corps-à-corps d’une grande violence avec la grammaire. Le speech de l’épreuve : 2H30, une question de lexicologie, une question de grammaire (divisée en deux temps) et un commentaire stylistique. Je suis sortie de la salle secouée du rire nerveux préludant la folie. Cette épreuve s’apparente beaucoup, pour moi, à l’obscénité d’une dissection. Je ne regarderai plus jamais un texte, une phrase, un mot de la même manière. J’ai eu le sentiment d’être propulsée de force dans une salle d’étude d’anatomie, au 16ème siècle, où des hommes de science, chacun à leur tour, s’approchent en silence d’un cadavre et le charcutent consciencieusement, jetant ça et là de joyeux commentaires : tenez, regardez donc ce formidable morceau de ligaments croisés, qu’il est beau, qu’il est bien organisé ! Oh, mais que vois-je ? Un organe ? Découpons-le, voyons donc ce qu’il y a à l’intérieur ! Mais voici l’os ! Splendide, il est encore tout rosé ! Brisons-le, explorons plus profondément encore… 

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Planche anatomique de Charles Estienne, La dissection des parties du corps

C’est ainsi. L’épreuve de grammaire passe du mot au texte, s’attardant méthodiquement sur la phrase, et les adjectifs, les pronoms, les relatifs, les adverbes (« ce pervers polymorphe »), les circonstants, les attributs, les verbes, leurs modes, toutes ces mignonnes petites choses qu’on aime à voir voleter au loin sont épinglées, classées et mises en rang. Il faut ensuite pouvoir les faire marcher au pas, harmonieusement, et tout ça en un battement de cils. Et il faut avouer l’enthousiasme honteux qui m’a prise quelques instants lorsque j’ai commencé à relever et classer furieusement l’ensemble des propositions subordonnées relatives du texte. Les mains sales, le texte à moitié éventré, je me suis levée et j’ai déposé ma copie inachevée dans les mains de la prof. Mon monde textuel venait d’être bouleversé. Avant, j’approchais un texte l’esprit flottant, laissant infuser les impressions et les idées, séduite toujours au détour d’une phrase par un fait de style, mais avec cette distance pudique qui laisse le texte intègre. Désormais, tout texte soumis à mon regard et à mon stylo sera méthodiquement découpé, et ce, sans même le vouloir. Il y aura toujours des phrases simples, averbales ou complexes. Il y aura toujours une valence des verbes. Il y aura toujours cette syntaxe, liant les mots entre eux, qu’il faudra débusquer. Et toujours, les mots eux-mêmes pourront être découpés en préfixes et suffixes lexicaux, possédant souvent des affixes flexionnels. La grammaire de concours provoque une lucidité turpide et implacable.

Préparation Agrég 2014, J1 : la désillusion et l’angoisse

Cette année, je prépare, pour la première fois l’agrégation. Afin de laisser une trace des bouleversements émotionnels, intellectuels et physiologiques qu’entraînera probablement cette longue traversée du désert, je décide de noter et de partager quelques mots à ce propos. 

 

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La mort de Marat, David, 1793

4 Septembre 2014, J1

Lire des rapports de jury et vouloir se suicider en se tailladant frénétiquement les veines avec du papier.

Détester Marianne et Marivaux qui ne termine pas son livre. Être bouleversée par Hadrien et ses réflexions sur l’Histoire.